"Chirac en fossoyeur du gaullisme"
Jean-Michel Thenard
Libération - 23/11/2000
N'était l'abus
de citations littéraires - maladie sympathique du normalien -, voilà sur les
étals un livre bien appétissant. Tous les ingrédients nécessaires à un ouvrage
goûteux y sont. Un style, le sens des formules, des anecdotes, de la hauteur de
vue, le tout pour dresser le fier portrait de ceux qui prétendent porter
aujourd'hui l'héritage gaulliste. Et qui se révèlent, en fait, selon Christophe
Barbier, en être les «vrais fossoyeurs», héros pitoyables d'une drôle de Comédie
des orphelins.
Parmi ceux-ci,
l'auteur, directeur adjoint de la rédaction de l'Express, réserve une place de
choix à quatre de ses indispensables hommes d'hier et d'aujourd'hui, et
peut-être encore de demain, Jacques Chirac, Philippe Séguin, Nicolas Sarkozy et
Charles Pasqua. Dans le premier, le mieux croqué, il croit discerner Don
Quichotte, «chevalier errant» égaré dans un palais trop grand pour lui, qui
préfère la conquête à un exercice du pouvoir, dont il ne sait trop que faire. Ce
chevalier-là risque bien d'accéder à la postérité au titre de premier président
de la Ve République dont «il ne restera rien du septennat», comme l'a déjà noté
l'historien Nicolas Baverez. Constat sévère et, en partie, faux. Car en tant
qu'«antéchrist du gaullisme», tout occupé à une patiente et inépuisable
éradication de l'héritage laissé par le général, Jacques Chirac, le temps d'un
quinquennat, a déjà accompli une oeuvre considérable. Que reste-t-il de la
tradition des institutions gaullistes quand le Président devient, avec Alain
Juppé à Matignon, l'otage de son Premier ministre, se refuse, contre toute
logique politique, à dissoudre l'Assemblée nationale en 1995, la dissout en 1997
et choisit de demeurer en poste en dépit du désaveu que lui infligent alors les
Français? A entendre Pierre Messmer ou d'autres compagnons historiques, la cause
est entendue depuis longtemps.
A ce travail de
sape que Barbier conte avec quelques belles saynètes, sans doute faut-il encore
ajouter, au minimum, le refus, pour de mauvaises raisons politiciennes,
d'inverser le calendrier électoral de 2002, qui risque de transformer le scrutin
présidentiel en une élection subalterne. La somme au total est impressionnante.
D'autant que Jacques Chirac ne se contente pas d'épuiser les derniers vestiges
d'un gaullisme dont le trépas est aussi vieux que l'acte de naissance du
pompidolisme. Il a cessé aussi d'être gaullien. C'est une vraie nouveauté pour
la fonction présidentielle, car, jusqu'à ses dernières heures de présence à
l'Elysée, François Mitterrand avait tenté de conserver cette posture. Pas son
successeur. «A force de vouloir être le président de tous les Français et n'être
rien de plus, Chirac est devenu un président comme tous les Français. Son style
simple et populaire n'a pas changé depuis son élection, parce qu'il a abaissé sa
fonction à la hauteur de son caractère et non hissé son caractère à la hauteur
de la fonction», écrit Barbier en un raccourci flamboyant.
Cette
dilapidation de l'héritage condamnera-t-elle le futur candidat Chirac ou
sera-t-elle sa chance? L'auteur se garde de trancher devant ce sphinx trop de
fois enterré. Mais il laisse peu d'espoir à ce président de transition, chef de
l'Etat médiocre à l'image de la politique du moment, une époque heureusement
peut-être en train de se clore. Séguin, «Jeanne d'Arc de la droite», ou Sarkozy,
«l'a-gaulliste», peuvent-ils incarner une relève? Il faudrait que le premier
apprenne à agir et le second à aimer. L'auteur ne prend pas de pari là-dessus.
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