"Que reste-t-il du gaullisme ?"
Laurent de Boissieu
La Croix - 09/11/2006
Le gaullisme est-il mort avec de Gaulle ?
Jean-Louis Debré : Le gaullisme n'est pas une nostalgie. C'est d'abord une
volonté d'agir plutôt que de subir, de ne pas admettre la pensée dominante et le
politiquement correct. Ce sont ensuite quelques grands principes. Une certaine
idée de la France, libre et indépendante dans la conduite de sa politique.
Une conception de la République et de l'État, renvoyant dos-à-dos ceux qui
souhaitent sa disparition et ceux qui considèrent qu'il devrait tout régir.
Enfin, c'est une vision de l'homme dans la société, ne se rattachant ni à la
lutte des classes marxistes ni au laisser-faire libéral. Le gaullisme dépasse
donc un homme et une époque. Il n'est pas mort avec de Gaulle.
Le gaullisme est-il de droite ?
Jean-Louis Debré : Non, le gaullisme, ce n'est ni la droite ni la gauche. Il ne
peut, par définition, exister dans un carcan bipolaire. Une de ses originalités
historiques, c'est d'avoir rassemblé des personnes de droite et de gauche. Mais,
aujourd'hui, le mode de représentation partisane fait que si vous êtes ailleurs,
ni à droite ni à gauche, vous êtes considéré comme n'étant nulle part…
Le quinquennat a-t-il mis fin à la Ve République gaulliste ?
Jean-Louis Debré : Cette réforme ne va pas, en effet, dans le sens de ce
qu'avaient voulu les constituants de 1958, car elle accélère les rythmes
politiques. Mais, pour le reste, nos institutions assurent toujours au pouvoir
politique légitimité, continuité et efficacité. Et elles ont conservé leur
souplesse, avec une lecture présidentielle ou parlementaire selon qu'il y a
concordance ou non (cohabitation) entre majorité présidentielle et majorité
parlementaire.
L'essentiel a donc été préservé. Ceux qui parlent de VIe République sont en fait
des nostalgiques de l'époque où c'était le Parlement qui gouvernait, aboutissant
systématiquement à la confusion des pouvoirs, donc à l'impuissance de l'État.
Dans une perspective gaulliste, quelle est la place des partis politiques dans
une élection présidentielle ?
Jean-Louis Debré : Une présidentielle, c'est la rencontre d'un homme, d'un
moment et du peuple français. Il s'agit donc, d'abord, d'une démarche
personnelle, pas d'une affaire partisane. Cela ne correspond ni à la logique du
PS, où le président de la République est le candidat du parti, ni même à la
logique de l'UMP, où le candidat doit d'abord recevoir l'investiture du parti.
Le soutien d'un parti peut éventuellement venir après, mais pas avant une
déclaration de candidature. Je rappelle que le gaullisme est aussi né du refus
du régime des partis. Je ne souhaite pas qu'il y ait une multiplication des
candidatures, mais chacun a le droit d'être candidat à la présidentielle.
Depuis la mort de De Gaulle, quelle personnalité a été, selon vous, la plus
gaulliste ?
Jean-Louis Debré : Je pense sincèrement que c'est mon père (NDLR : Michel Debré)
qui a le plus profondément incarné l'idéal gaulliste. Mais aujourd'hui, sans
conteste, c'est Jacques Chirac qui représente le mieux le gaullisme du XXIe
siècle. Sa volonté sourcilleuse de défendre l'indépendance nationale et de
promouvoir une société plus juste qui ne soit pas toujours régie par les lois
d'un libéralisme excessif en est une des illustrations les plus marquantes.
Dominique de Villepin, aussi, incarne cette tradition gaulliste.
Que pensez-vous de Nicolas Sarkozy lorsqu'il critique rétrospectivement la position de
la France lors de la crise irakienne ?
Jean-Louis Debré : Les représentants légitimes de la France doivent prendre des
décisions conformes à l'intérêt de la France et pas à celui d'un autre pays. Par
conséquent, nous devons continuer à mener une politique indépendante. Le
gaullisme, c'est aussi le refus de l'intégration atlantique et la capacité de
dire non, y compris à un allié. C'est ce qu'a montré, avec justesse, Jacques
Chirac.
Nicolas Sarkozy semble par ailleurs hésiter entre libéralisme et gaullisme. Où le situez-vous
?
Jean-Louis Debré : Nul n'est habilité à décerner des brevets de gaullisme. Cela
dit, je pense qu'il faut beaucoup de talent pour concilier les contraires…
L'UMP est-elle un parti gaulliste ?
Jean-Louis Debré : Je constate que l'UMP a été créée afin de réunir trois
familles politiques : les gaullistes, les libéraux et les centristes. Il n'y a
donc pas que des gaullistes au sein de l'UMP et sa vocation n'est pas de
représenter politiquement le gaullisme. On peut très bien être gaulliste et
n'appartenir à aucune organisation partisane ou à un autre parti que l'UMP.
Recueilli par Laurent de Boissieu et Solenn de Royer
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