"Querelles sur la pensée européenne de Charles de Gaulle"
Laurent de Boissieu
La Croix - 12/04/2005
Après la création de comités concurrents par des députés UMP, des gaullistes
historiques prennent aujourd'hui position sur le projet de Constitution
européenne
Les gaullistes n'en finissent pas de se disputer les morceaux de la vraie Croix
de Lorraine. Le
référendum du 29 mai sur le projet de Constitution européenne en est une
nouvelle illustration. Le premier à avoir mouillé sa chemise est le député UMP
Nicolas Dupont-Aignan, qui a lancé, le 9 mars 2005, les "comités pour un non
gaulliste et républicain". Le 6 avril, c'est au tour de 146 députés UMP
partisans de la Constitution européenne de créer, à l'initiative de Patrick
Ollier, un "comité pour le oui gaulliste au traité constitutionnel européen". En
riposte, des gaullistes historiques, anciens collaborateurs du général de
Gaulle, se réunissent aujourd'hui, autour de Pierre Lefranc (ancien chef de
cabinet), Étienne Burin des Roziers (ancien secrétaire général de l'Élysée) et Pierre Maillard
(ancien conseiller diplomatique), pour réaffirmer leur fidélité à la pensée de Charles
de Gaulle et expliquer leur "non gaulliste".
Sans attendre cet appel, l'initiative de Patrick Ollier lui a, d'ores et déjà,
valu une volée de bois vert de la part des gaullistes militant pour le "non".
"C'est proprement scandaleux et indigne", fustige Charles Pasqua, sénateur
apparenté UMP et président du Rassemblement pour la France (RPF). Même réaction
du député UMP Jacques Myard, fondateur du Cercle Nation et République, qui
dénonce "une tentative de manipulation grossière et ridicule" et parle de
"révisionnisme historique".
Ancien ministre de Charles de Gaulle et de Georges Pompidou, Jean Charbonnel,
qui, en 1992, avait approuvé le traité de Maastricht, estime, lui, que "nul ne
sait" ce que dirait aujourd'hui le général de Gaulle. "Nous croyons toutefois
possible de retrouver, grâce à une réflexion attentive sur son action et à une
relecture objective de ses écrits, l'esprit du message qu'il nous a laissé : il
nous paraît évident qu'il aurait fermement rejeté le texte qui nous est
aujourd'hui proposé", assure-t-il.
Sur le fond, les uns et les autres divergent pourtant plus sur leur
interprétation du projet de Constitution européenne que sur leur conception du
gaullisme. "Nous savons combien il faut être vigilants dans la construction
européenne pour ne jamais la laisser aux mains des partisans de la
supranationalité ou du libéralisme sans limites", affirment Patrick Ollier et
les membres du "comité pour le oui gaulliste". Des propos que ne renieraient pas
les gaullistes militants du "non". Dans un livre à paraître jeudi prochain
(1), Nicolas Dupont-Aignan, président des clubs Debout la
République, dénonce ainsi le "marché unique ultra-libéral des années 1990" et la
"construction d'un super-État qu'on a laissé se développer depuis vingt ans dans
le dos des citoyens".
C'est sur la question de la souveraineté de la France et de l'indépendance de
l'Europe vis-à-vis des États-Unis que les gaullistes opposés au texte sont vent
debout. Sur ce dernier point, les positions sont irréconciliables entre
adversaires et partisans du projet de Constitution européenne. Les premiers
reprochent au projet sa référence explicite à l'OTAN, ce qui va à l'encontre de
la construction d'une "Europe européenne" telle que la souhaitait Charles de
Gaulle. Tandis que les seconds participent, derrière le président de la
République, Jacques Chirac, et Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, au
retour de la France dans les instances de l'OTAN.
"Le traité constitutionnel européen garantit que le rôle de la France dans le
monde sera préservé", affirme par ailleurs Patrick Ollier. "Peut-on imaginer que
De Gaulle aurait accepté les “avancées” fédéralistes du texte actuel et
notamment la création d'un “ministre européen des affaires étrangères”, comme si
l'on pouvait s'en remettre à un personnage, même symbolique, pour conduire la
politique extérieure de la France ?", rétorque Jean Charbonnel. Nicolas
Dupont-Aignan estime, lui, que "l'instant de vérité irakien a démontré combien
l'Union européenne a tendance à s'aligner sur les positions américaines",
rappelant que "ce sont près de 17 pays sur 25 qui ont soutenu sans aucun
scrupule une guerre d'invasion qui constitue à l'évidence un crime contre la
paix selon les principes de l'ONU".
Et Nicolas Dupont-Aignan, malicieux, enfonce un peu plus le clou : "On vient
d'évoquer 17 pays mais en réalité ils étaient 18", en tenant compte de la prise
de position de Javier Solana, actuel haut représentant de l'Union européenne
pour la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) et futur ministre des
affaires étrangères de l'Union européenne.
(1) Nicolas Dupont-Aignan, J'aime l'Europe je vote
"non", François-Xavier de Guibert, 185 pages, 15 €
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