"Tromperie sur le gaullisme"
Pierre Lefranc
Libération - 07/05/1998
Aucun parti
ne peut accaparer l'héritage du père de la Ve République, surtout s'il en bafoue
les principes.
Personne ne
doute que les principes affirmés par le général de Gaulle en son temps
continuent à constituer aujourd'hui une source d'inspiration pour nombre
d'hommes politiques d'un bout à l'autre de l'échiquier, tant à l'étranger qu'en
France. Il faut s'en réjouir, cette situation répondant au vœu du général dont
les comportements ont démontré qu'il ne pouvait être situé ni à droite ni à
gauche.
C'est pourquoi
il n'est pas acceptable qu'un groupement politique, quel qu'il soit, prétende
accaparer un héritage dès lors que ce groupement ignorerait les principes
fondamentaux du gaullisme, à savoir: l'autorité et la place primordiale de
l'Etat dans la nation, le rôle prédominant du président de la République, pilier
des institutions et dont le mandat s'exerce sur deux législatures, la mutation
de la société par la participation, une économie protégée des excès du
libéralisme et, enfin, et avant tout, la sauvegarde de l'indépendance nationale
sous tous ses aspects.
Or c'est devenu
un fait qu'un certain parti, le Rassemblement pour la République, s'emploie à se
présenter comme le tenant et le défenseur des legs du gaullisme conforté en cela
par les médias qui s'obstinent à le qualifier de "parti gaulliste", alors qu'on
peut légitimement considérer que les prises de position de ce parti s'écartent
considérablement - pour ne pas écrire s'opposent - aux principes clairement
énoncés par de Gaulle.
Tout d'abord,
ce parti se situe lui-même de plus en plus à droite; ensuite, en abandonnant la
référence fondamentale à la notion d'identité nationale, il soutient une
politique européenne en contradiction formelle avec l'Europe des nations voulues
par le fondateur de la Ve République, lequel n'aurait certainement pas accepté
de signer les traités de Maastricht et d'Amsterdam qui portent de graves et
irréversibles atteintes à notre indépendance. De surcroît, le RPR a accepté, et
active même, l'instauration d'une monnaie unique européenne privant la France
dans l'avenir de toute autonomie réelle sur les plans budgétaires et social,
alors que les régimes financiers comme les situations économiques des
partenaires demeurent toujours fondamentalement éloignés.
Que le RPR ait
une politique tout autre que celle préconisée par de Gaulle est son droit, mais
suivre une telle politique au nom du gaullisme est une sorte d'abus de
confiance. L'utilisation de l'appellation "néo-gaullisme" pour le RPR est encore
trop éloignée de la réalité et l'on souhaiterait que ce parti ait le souci
d'affirmer sa vraie personnalité plutôt que de revêtir une apparence qui trompe
le peuple. Pourquoi n'utiliserait-il pas le nom de celui qui l'inspire du plus
haut de la République?
On ne peut pas
prétendre gagner à la fois sur le tableau des accommodements et sur celui de la
rigueur. La pratique de la rigueur dans les convictions et les objectifs - la
capacité de dire non quand il le faut -, essence du gaullisme, est contraignante
et nécessite courage et persévérance, mais, à terme, cette stratégie n'est-elle
pas la plus payante? L'on est même tenté de se demander si ce n'est pas
l'absence de cette rigueur qui explique certains échecs.
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