"L'UMP, ou l'extinction du gaullisme"
Philippe Ridet
Le Monde - 21/09/2002
Le RPR a cessé d'exister, samedi
21 septembre. Né le 5 décembre 1976 au parc des expositions de la porte de
Versailles (Paris) - mort vingt-six ans plus tard au parc des expositions de
Villepinte (Seine-Saint-Denis). Déjà des voix s'élèvent : "C'est le gaullisme
qu'on assassine !". On tiendrait le coupable, et le mobile : Alain Juppé,
fortement soupçonné d'avoir hâté la fin du RPR pour bâtir - avec les ennemis
d'hier, centristes et libéraux - une nouvelle formation au service de ses
ambitions présidentielles. Et le complice : Jacques Chirac lui-même, fondateur
dudit RPR, devenu indifférent au sort de son parti, une fois parvenu au sommet
du pouvoir.
Et pourtant : le
RPR a-t-il jamais été "gaulliste" ?
Quand Jacques Chirac fonde le Rassemblement pour la République - dixième
appellation du mouvement gaulliste depuis la fondation du RPF en avril 1947 -,
le Général est mort depuis cinq ans. La simple évocation de son nom suffit à
raviver un souvenir toujours vivace dans le cœur des 50 000 militants présents.
Pourtant, quand il prend la parole, pour le discours de clôture, Jacques Chirac
ne cite qu'une seule fois le nom du Général, mais le fond de la pensée gaulliste
y est : préservation de l'indépendance nationale "sans avoir à rechercher à
l'extérieur approbations et consignes" ; maîtrise de l'économie "en
fixant par un plan national les objectifs et les disciplines du développement" ;
droit au travail "garanti" et "développement de la participation".
Ne manque pas non plus l'appel "au Peuple de France, Peuple qui sait dire non
à ce qui l'avilit, Peuple une fois encore debout et rassemblé [Les
majuscules sont d'époque]". Le gaullisme sans de Gaulle a la saveur de
l'original. Un signe pourtant contredit déjà cette filiation revendiquée : la
photo du Général n'apparaît pas dans le décor de la porte de Versailles.
"À TITRE PERSONNEL"
Sitôt créé, le RPR
va dériver, au fil des opportunités stratégiques, de ses origines proclamées. Si
le Général voulait se situer au-dessus des partis, qu'il détestait, son
héritier entend se situer, lui, carrément dedans. Jérôme Monod, premier
secrétaire général du mouvement, affirme haut et fort la continuité avec la
pensée du Général : "Nous sommes plus que jamais fidèles à la vocation du
gaullisme", écrit-il en préface au programme du RPR en 1977. Toutefois, le
RPR se révèle très vite pour ce qu'il est : une machine électorale au service
d'un seul homme, Jacques Chirac. Et d'une seule cause : marginaliser les
centristes, Valéry Giscard d'Estaing occupant l'Elysée. A partir de cette base
opérationnelle - et efficace - le futur président de la République va
prioritairement se lancer à l'assaut de l'UDF. Première bataille et première
victoire : la Mairie de Paris en 1977 ravie au candidat soutenu par M. Giscard
d'Estaing. Un an plus tard, lors des élections législatives, le RPR remporte une
autre victoire sur l'UDF en obtenant 22,7 % des suffrages contre 20,2 % pour les
centristes. En 1981, Jacques Chirac, éliminé dès le premier tour de l'élection
présidentielle, porte le coup le plus rude à son adversaire. Pour le second
tour, il confesse, du bout des lèvres, qu'il votera pour Valéry Giscard
d'Estaing, "à titre personnel". Les centristes ne seront jamais plus à
même de contester au RPR son leadership sur la droite.
Dans le même temps,
les gaullistes historiques sont de moins en moins visibles au sein du parti. Si
les grands principes demeurent, les " barons", déjà échaudés par
l'élection de Georges Pompidou à la présidence de la République en 1969,
désertent. Pour beaucoup des anciens compagnons du Général, le président du RPR
- quoi qu'il s'en défende - n'est déjà plus dans le droit fil de la pensée
originelle. Les années 1980 marquent un tournant. La quête du pouvoir par
Jacques Chirac passe par une conversion au nouveau dogme de la pensée
politique : le libéralisme. Le combat du moment n'est plus à contrarier l'essor
des centristes et des libéraux par le rappel de la primauté de l'Etat et du
volontarisme économique mais à contrer la gauche au pouvoir par l'affirmation de
la liberté d'entreprendre sans contrainte. Peu à peu, le RPR abandonne au profit
du FN cet électorat populaire que de Gaulle avait su conquérir. Le 9 janvier
1990, l'alliance conclue entre Charles Pasqua et Philippe Séguin pour contrer la
dérive libérale et européenne du parti ne recueille que 30 % des suffrages des
militants face à l'axe majoritaire Juppé-Chirac. Enfin, en 1991, l'appel de
Jacques Chirac à voter "oui" au traité de Maastricht consomme le divorce d'avec
une indépendance telle que la rêvent encore les derniers fidèles du Général.
Parallèlement,
l'empreinte du gaullisme dépasse le cercle de ses zélateurs naturels. En
s'installant au pouvoir, en 1981, François Mitterrand, utilise à son profit tous
les pouvoirs et la stature que lui confère une Constitution qu'il aura passé des
années à combattre au motif qu'elle était taillée sur mesure pour le Général. Si
le gaullisme n'est plus tout entier dans le RPR, il est un peu partout, sorte de
fond commun de placement idéologique, confirmant l'intuition du fondateur de la
doctrine : "Tout le monde a été, est ou sera gaulliste."
PRÉSENCE DISCRÈTE
Le RPR méritait-il
de survivre dès lors que son gaullisme revendiqué n'est plus qu'une pièce de
musée qu'on ressort aux grands-messes pour donner du cœur aux militants ? Quelle
sera sa place dans la future UMP ? Une chose est sûre : ni Alain Juppé, ni
Philippe Séguin, ni Nicolas Sarkozy, ni Michèle Alliot-Marie - les quatre
derniers présidents du parti - ne souhaitent prendre la tête d'un courant en son
nom. Ils l'estiment aujourd'hui minoritaire. Seul Nicolas Dupont-Aignan, anonyme
député de l'Essonne, se dit prêt à relever le défi avec une quinzaine de
parlementaires. C'est dire si la présence du gaullisme des origines sera
discrète dans la nouvelle organisation de la droite. Dès lors la question se
pose : qui a tué le gaullisme que le RPR était censé défendre ? Personne, il
était déjà mort.
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