"L'idée du rassemblement sur la France n'est pas de De
Gaulle"
Étienne Tarride
Libération - 30/12/1997
En réponse à Sophie de Menthon (Libération,
18/12/1997), pour qui l'ombre de De Gaulle empêcherait la droite d'être à
droite.
Dans un article publié dans Libération du 18 décembre et intitulé "Le gaullisme,
ce
cache-sexe", madame Sophie de Menthon croit pouvoir porter à notre connaissance
atterrée une nouvelle bouleversante : de Gaulle est mort ! Boileau aussi et,
pourtant, ce qui se conçoit bien s'énonce toujours clairement.
Plus sérieusement, si l'on peut dire, madame de Menthon produit une bouillie pour
les chats d'où il semble ressortir que la grande ombre du général de Gaulle
empêcherait la droite d'être à droite, de proposer la voie royale du libéralisme
intégral et d'enthousiasmer la jeunesse de France qui ne pense plus au 18 juin
pour écouter Nique ta mère.
Nous sommes, je crois, un certain nombre à nous souvenir que, du vivant du
général, des discours du même type étaient tenus par des gens de droite
antigaullistes.
Déjà, le général était un alibi, déjà il était frappé de lubies gauchisantes.
Déjà, les services publics, la Sécurité sociale et les conventions collectives
constituaient autant de drames nationaux.
Déjà, surtout, cette vieille culotte de peau incarnait la France de grand-papa,
un pays ridicule qui croyait pouvoir donner des leçons à la terre entière alors
qu'il était en retard par rapport à tout le monde.
Ce genre de propos, venant de la vieille droite, fût-elle républicaine, ne nous
surprend donc pas. Pour tout dire, on s'en fout.
Nous sommes, je crois, un certain nombre à ne pas vouloir effectivement être de
droite et seulement de droite, de même que nous ne voulons pas être de gauche et
seulement de gauche. Même si madame de Menthon et ses amis trouvent que c'est
ridicule, nous sommes attachés au rassemblement des Français sur la France,
au-delà des opinions, des professions, des couches sociales, de toutes les
castes.
Cette position interdit de démunir l'état des moyens qui lui sont nécessaires
pour défendre l'intérêt général face aux intérêts particuliers, même les grands
intérêts économiques transnationaux, ce qui peut déplaire à madame de Menthon,
même face aux revendications catégorielles, ce qui peut déplaire à d'autres.
Cette position implique une conception exigeante de la souveraineté nationale
puisque la nation est l'espace exclusif d'une réelle solidarité avec tous les
sacrifices que cela peut impliquer.
De Gaulle n'a été, dans notre Histoire, qu'une des très grandes figures qui ont
illustré cette idée de la politique. En ce sens, le gaullisme date d'avant de
Gaulle et se poursuivra inéluctablement après lui.
Peu importent dès lors les maladresses que le parti gaulliste peut commettre,
ou, soyons clairs, commet. Peu importe que ce parti se réduise dans ce qu'il a
d'authentique, ou qu'il puisse quelquefois se fourvoyer momentanément. L'idée
reste. Ni la Mère Denis ni madame de Menthon n'y pourront rien. La leçon du
général de Gaulle sera, un jour, la source d'ardeurs nouvelles, quand bien même
il a disparu...
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