"Le gaullisme, ce cache-sexe"
Sophie de Menthon
secrétaire nationale de Démocratie Libérale
Libération - 18/12/1997
Le Général n'est plus qu'une image alibi, la "mère Denis" d'une idéologie
sans idées. Le gaullisme, ce cache-sexe.
Le général de Gaulle n'aurait-il pas voulu tuer le gaullisme d'aujourd'hui?
C'est une question que l'on peut se poser tant le poids du héros national
qu'était de Gaulle gèle les comportements politiques et finit par provoquer une
façon de gouverner qui est à l'opposé de la sienne.
En devenant une référence politique permanente, le "gaullisme" n'est plus que le
simple alibi d'un parti qui s'enlise, pétrifié par sa statue du commandeur. On
ne peut plus continuer à revendiquer la politique du chef lorsque le chef est
absent et que le contexte n'est plus le même...
On ne peut se mobiliser ou s'enthousiasmer sur des héritiers indécis qui gèrent
une succession uniquement en se posant la question de savoir "ce qu'aurait fait
de Gaulle", le tout pour aboutir à une contrefaçon. S'il y a bien quelqu'un qui
prenait des décisions sans tergiverser et en offrant des réponses claires et
pragmatiques, c'était lui, et c'est le contraire du spectacle qu'on nous offre
aujourd'hui. Ceux-là mêmes qui se disent gaullistes ont fini par vider de son
contenu le "gaullisme", paralysés par ce père qu'ils n'arrivent pas à tuer et
qu'ils ne peuvent plus imiter. Le RPR et les électeurs par la même occasion
vivent un oedipe politique non résolu...
Le poids de la "marque" gaulliste n'est plus qu'un repère pseudo-fédérateur
permettant d'afficher une cohésion de façade. Pour employer un langage
marketing, on pourrait dire que, faute d'être d'accord, on se sert d'un capital
image pour vendre une idéologie sans idées. On utilise le charisme du personnage
pour crédibiliser des positions contestables; un peu comme la mère Denis, qui
fut la caution d'une lessive, mais il a fallu enterrer la mère Denis! Il est
temps que la légitimité viennent d'ailleurs: du présent et non plus du passé.
Le problème est crucial pour l'opposition, car le bouleversement économique et
social actuel ne trouvera sa résolution que dans une unanimité politique qui
n'est pas celle d'un parti cherchant dans sa mémoire le remède à son incapacité.
Il n'est pas innocent que la gauche en ait tiré parti: la France cherche de
Gaulle désespérément, et la droite n'ose pas être de droite à force de ne pas
savoir ce que le gaullisme signifie aujourd'hui.
Se déclarer gaulliste n'est-ce pas aussi la façon d'être "à droite" sans l'être,
tout en l'étant, être à droite avec des arrondis de social-démocratie, avec
bonne conscience: n'est-ce pas de Gaulle après tout qui a créé la Sécurité
sociale?
Pas de chance: ce qu'a décidé et fait de Gaulle, au bon moment, c'est justement
ce qu'il faut réformer aujourd'hui. Economiquement par exemple, le gaullisme ne
veut plus rien dire, et de ce point de vue aucun chef d'entreprise ne peut y
trouver ses repères... En revanche, de Gaulle est un alibi social formidable: il
permet aux parlementaires de droite de ne pas se déclarer franchement comme
tels. Une pudeur qui constitue un facteur perturbant supplémentaire, car c'est
bien cette timidité qui a permis au Front national d'occuper un créneau laissé
officiellement vacant. Comme ce même Front national contribue à rendre de plus
en plus honteux le fait de se déclarer à droite, nous ne sommes donc pas sortis
de l'auberge!
Le gaullisme ne se contente pas d'étouffer l'étoffe des héros, il gêne
directement l'évolution vers une économie libérale, l'interprétation gaulliste
opposant à l'économie de marché une préférence nationale qui relève plus
aujourd'hui de la culture d'Astérix que de la grandeur d'antan.
Comment se mobiliser en se projetant encore et toujours vers le passé? Comment
prétendre que la seule évocation de ce passé glorieux résoudra les fractures
d'aujourd'hui? Comment les jeunes qui vivent à l'époque de "nique ta mère"
peuvent-ils trouver un dérivatif dans le seul héros de la Seconde Guerre
mondiale? Comment donner un sens à la politique, donc à la nation, à cette
jeunesse pour qui le nom de "de Gaulle" n'évoque que les films sur la Résistance
et vaguement mai 1968 - qui a marqué la fin d'une époque en même temps que la
fin d'un règne, celui du général de Gaulle. Ce n'est pas le procès Papon, procès
d'ombres funèbres qui va nous projeter avec enthousiasme vers l'avenir!
Un héros mort ne peut plus être le leader du quotidien. Soyons réaliste, quel
jeune aujourd'hui peut voter "gaulliste", qu'est-ce que cela veut dire? Dans ce
no man's land dit d'opposition, nous nous raccrochons à la gloire de ce qui
n'est plus. Préserver le respect de la grandeur d'un homme, c'est garder ce que
fut son parcours de valeurs et non se servir de lui pour combler un vide.
Personne n'est dupe, ce n'est pas en citant de Gaulle, faute de savoir créer une
nouvelle exemplarité, que l'on s'appropriera la majorité qu'il entraînait.
L'absence de renouvellement de la classe politique, RPR en particulier, a
cruellement contribué à renforcer cet ancrage dans ce qu'il a de malsain; on ne
peut évidemment pas en vouloir à ceux qui ont sauvé la France d'être marqués du
sceau de leur chef, mais la relève aujourd'hui ne peut passer ni par le même
homme ni par la même voie. Ce sont presque deux générations maintenant qui
aspirent à autre chose. Sans vouloir profaner les tombes, on a plutôt envie de
s'exclamer "Le roi est mort, vive le roi!"; le problème, c'est que la Ve
République n'est pas héréditaire comme certains ont pu le penser...
Réponse :
Étienne Tarride, "L'idée du
rassemblement sur la France n'est pas de De Gaulle", Libération,
30/12/1997
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