"Nous nous appellerons gaullistes !"
Hervé Gaymard
Le Figaro - 23/06/1998
Dans Le Figaro du 17 juin,
le secrétaire perpétuel de l'Académie française, Maurice Druon, enjoignait les
dirigeants du RPR, et le premier d'entre eux issu de ses rangs : "De grâce,
que nul parti ne s'appelle plus gaulliste". Maurice Druon écrivait : "Le
gaullisme a été dénaturé le jour de 1976 où (...) le vieux "rassemblement" du
général a été transformé en ascenseur destiné à hisser un présidentiable. Il est
parvenu, lentement et après quelques pauses, à monter son passager à l'étage
élyséen. Et maintenant ? Les garçons d'ascenseur, craignant d'être au chômage,
se battent entre eux pour savoir qui restera employé à astiquer les cuivres de
cette machine devenue inutile". Au RPR, certains ont approuvé, d'autres se
sont récriés. Tel Hervé Gaymard, ancien secrétaire d'État à la Santé dans le
gouvernement d'Alain Juppé et député de Savoie. Aujourd'hui âgé de 38 ans, il
écrit au compagnon Maurice Druon : "Malgré l'interdiction que vous proférez, je
continuerai à m'appeler gaulliste, et avec moi beaucoup d'autres, davantage que
vous ne croyez et bien plus ardents que vous ne l'imaginez".
Cher Maurice Druon,
Le 18 juin 1940, je n'étais pas à Londres ; le 11 novembre 1940, je n'étais pas
à l'Arc de Triomphe ; je n'étais pas à Koufra ni à Bir Hakeim, pas davantage
dans la brigade Alsace-Lorraine « avec les moutons des Tabors dans les bois
d'Alsace »... ; je n'étais pas à Bruneval, sur la falaise, ni à Strasbourg en
1947, ni place de la République en 1958, pas même sur les Champs-Élysées, le 30
mai 1968...
Je me souviens seulement de la lente progression du cercueil drapé de tricolore
sous les frondaisons de la forêt gauloise, de la simple croix blanche de
Colombey, de Madame de Gaulle repartant seule du cimetière, du monde entier
rassemblé à Notre-Dame la France. J'avais dix ans, et c'est ainsi que je devins
gaulliste. C'était pour moi quelque chose de simple et grand, enfoui comme un
songe dans les replis de l'enfance, et que notre génération serait seule
capable de transmettre, car seuls les songes sont invincibles.
Malgré l'interdiction que vous proférez, je continuerai à m'appeler gaulliste,
et avec moi beaucoup d'autres, davantage que vous ne croyez et bien plus
ardents que vous ne l'imaginez. Nous ne pensons pas que la fin de partie ou la
fin de Patrie a été jouée. La seule différence avec la génération que vous
incarnez et à qui nous devons tant, est que les 18 juin qu'il nous reste à
accomplir ne sont pas du même ordre que les vôtres, car il ne s'agit plus
seulement du sursaut de la Patrie et de la Nation, mais du sursaut de l'âme
humaine frappée par le soleil noir de la mélancolie. Bernanos l'avait, comme
toujours, pressenti dans ses derniers écrits avant de nous quitter il y a
cinquante ans, De Gaulle aussi après les événements de mai et dans les
intuitions du référendum de 1969. Nous y sommes.
Il y a, cher Maurice Druon, après vous, des gaullistes qui n'étaient pas nés en
1940, ni en 1958, pas même en 1970. Ils n'auront pas vécu l'épopée, ils ne
seront jamais Compagnons de la Libération, ils n'ont pas encore eu la fierté de
voir une France restaurée. Ils sont bien conscients d'ailleurs que le mot même
de gaullisme sans même parler de son contenu ne signifie plus grand chose, ne
peut signifier grand chose pour l'immense majorité de nos compatriotes. Ils
pensent pourtant que cette morale de l'action, cette ardeur, cette clarté,
qu'on la raille ou qu'on l'espère, nous permettra encore de faire de grandes
choses, car elle incarne le supplément d'âme dont les idéologies mensongères
ou gestionnaires sont dépourvues.
Oh certes, nous ne nous reconnaissons pas dans les luttes dérisoires dans des
palais vides, dans les débats que l'on se laisse imposer sur des stratégies
électoralistes à courte vue, dans ce « politiquement correct » qui, depuis bien
des lustres, émascule la pensée et l'action politiques. Nous ne supportons plus
cette IVe République qui perce chaque jour davantage sous cette Ve dénaturée
qui meurt lentement sous nos yeux. Nous avons une âme et une résolution de
constructeurs, mais nous ne sommes ni en 1940, ni en 1958.
Nous sommes de notre époque. Nous connaissons, nous aimons et nous vivons notre
histoire, plus que vous ne le pensez d'ailleurs, car, dans les périodes de vide
sidéral, c'est un refuge bien trop commode. Mais elle n'alourdira pas nos ailes
au point de nous empêcher de voler, d'imaginer, de créer. La nostalgie ne nous
aura pas.
Nous sommes prêts à bâtir une nouvelle République qui réconcilie les Français
avec l'action publique, qui remette la politique à sa juste place, c'est-à-dire
qu'elle n'étouffe ni n'infantilise l'homme, mais le rende libre et responsable.
Et cela, nous le ferons avec Jacques Chirac. Je ne vous suis pas quand vous
écrivez que le gaullisme serait dénaturé depuis la création du RPR en 1976.
Vieux procès assurément puisque, en 1947, lors de la création du RPF, des
gaullistes estimaient déjà que le général dénaturait le gaullisme en créant un
parti politique... J'étais comme vous, en 1974, du haut de mes quatorze ans, un
ardent soutien de Jacques Chaban-Delmas. Mais reconnaissez que, sans Jacques
Chirac, sans son énergie, sans sa volonté et sa persévérance, il y a bien
longtemps que l'expression politique du gaullisme aurait sombré corps et biens.
Et aujourd'hui, et quelles que soient les difficultés du moment et dans notre
riche histoire nous en avons vu bien d'autres , il est évident qu'il n'y aura
pas de renaissance du gaullisme, et quel que soit le nom qu'on lui donne, contre
Jacques Chirac. Ceux qui le pensent ou le susurrent ont déjà perdu d'avance car
ils font une magistrale erreur d'analyse politique. Vous vous souvenez sûrement
de Malraux : « Il n'y aura pas d'après-gaullisme contre le général de Gaulle...
»
C'est parce que je partage la même hantise que, comme le radicalisme naguère,
le gaullisme meurt d'avoir réussi, d'avoir été pillé et dénaturé, que le moment
me semble venu de bâtir, les yeux ouverts, enracinés que nous sommes, la France
du nouveau millénaire. Aucun sujet ne devra être éludé, pas même la question
institutionnelle que vous évoquez avec justesse dans votre dégoût des
cohabitations à répétition, mais cela va bien au-delà. En labourant la France
comme je le fais, je sais que partout des forces et une énergie immense sont
prêtes à donner le meilleur d'elles-mêmes. On ne les voit ni ne les entend
encore, car elles ne se reconnaissent pas dans les vieux faux débats dont on
nous abreuve depuis maintenant trop d'années. Elles refusent de se laisser
entraîner dans les convulsions du vieux monde qui est en train de sombrer sous
nos yeux, elles ne goûtent guère les miasmes de cette fin de siècle
affligeante, ultime et seul legs du mitterrandisme, mais elles seront là
bientôt, je vous le dis, pour bâtir du vrai et du neuf.
Il est bien sûr tentant et sans doute explicable, après une vie riche et pleine
comme la vôtre, de vouloir, du haut de l'Académie, siffler la fin de partie, la
fin de Patrie. Mais je vous le dis amicalement : ne le faites pas trop vite.
Nous sommes là. Et nous avons encore beaucoup à vivre, car, pour nous, vivre
est l'infinitif de vivant, et toujours vivante est la France.
Réponse :
Renaud Dutreil, "Il est
temps de bâtir l'après-gaullisme", Le Figaro, 27-28/06/19980
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